Grünt
dans les coulisses du rap d’hier et de demain
Né dans les années 2010 avec l’ambition de mettre en lumière les nouvelles générations de rappeurs, Grünt est devenu un acteur majeur de la scène rap. Ses émissions et festivals participent de l’influence et du dynamisme d’un genre musical en tête des écoutes en France.
Une webradio, une chaîne YouTube cumulant des dizaines de millions de vues, des documentaires à l’international… Grünt fait partie de ces médias rap qui, à l’image de nombreux artistes du genre, sont partis de rien avant d’éclore. « Puriste » aux yeux des uns, dénicheur de talents aux yeux des autres, Grünt fait aujourd’hui partie des noms qui comptent, capables de propulser des artistes méconnus sur le devant d’une scène underground plus visible qu’autrefois.
Leurs bureaux actuels sont situés dans le 18e arrondissement, rue André-Messager, où pullulent les labels et structures musicales tels que Tricatel ou Le Fair. À l’étage qui surplombe le studio trônent fièrement des vinyles du duo entre Prince Waly et Laurent Bardainne, des collaborations entre Sampha et le producteur électro SBTRKT ou du groupe alternatif The xx, témoignant d’une passion musicale transcendant les genres.
Une histoire de copains
Une curiosité à l’origine de cette histoire de copains. Jean Morel, aujourd’hui visage médiatique de Grünt, Simon Maisonobe, Quentin Coulon et Théo Couvidat, habitués de la vie nocturne et des salles de concert parisiennes du début des années 2010, découvrent une nouvelle génération de rappeurs qui émerge dans la capitale.
Parmi elle, L’Entourage, un collectif parisien enchaînant les scènes ouvertes pour se faire connaître, alors que la génération de l’époque peine à trouver sa voie au milieu des gros vendeurs comme Rohff et Booba. « Le rap n’avait pas le même statut qu’aujourd’hui, se souvient Jean Morel. À ce moment, on était encore étudiants, on réfléchissait à notre avenir. En voyant ces jeunes rappeurs, on avait l’impression de voir des gens comme nous, mais objectivement plus cool ! »
De là, tout s’enchaîne, un peu à l’arrache : « On empruntait des micros, on récupérait des caméras grâce à Simon qui était en formation documentariste à l’INA. On a invité tout le monde dans notre coloc pour freestyler. » Cette pratique consistant à débiter des textes autour d’un micro n’a rien d’original dans l’histoire du hip-hop.
Elle caractérise pourtant cette nouvelle génération d’« esthètes » à l’ancienne qui réinvestit les codes new-yorkais des années 1990. Pour le premier freestyle Grünt, la programmation a de quoi faire rêver : Nekfeu, qui collectionne aujourd’hui les disques de diamant, mais commence à peine à émerger, Lomepal alors illustre inconnu, le duo Fixpen Sill… La croissance de Grünt se fera en même temps que la leur.
L’indépendance jusqu’au bout du micro
Les débuts de YouTube et l’arrivée du Canon 5D qui démocratise l’utilisation de la vidéo se combinent à l’effervescence de cette avant-garde. Les étoiles s’alignent. Toujours en parallèle de sa « vraie vie », la bande enchaîne les épisodes, invitant des artistes qui lui correspondent indépendamment de leur succès. Le lancement d’une marque de vêtements leur permet de mettre de l’argent de côté et de gagner en autonomie. Sur le modèle de 1995, groupe majeur de cette nouvelle école française de rap old school, Grünt fédère rapidement une communauté.
La structure naissante se monte en association, mais reste un hobby pour ses créateurs : « On savait qu’on commençait à avoir un public, mais on se demandait quel pouvait être notre modèle économique. Avec un public jeune, dans le champ culturel, on ne pouvait pas fonctionner par abonnement », se rappellent Quentin et Simon. Alors auteur à « Affaires sensibles » sur France Inter, ce dernier découvre l’aide du CNC Talent destinée aux jeunes youtubeurs : « En 2019, on tourne en rond niveau création rap en France, on se dit qu’on veut aller vers le continent africain. Avec cette aide, on lance le Grünt Tour, une série de documentaires et de freestyles au Maroc, en Côte d’Ivoire et au Mali. »
Un plan de financement se dessine alors. D’une part en mettant leur talent audiovisuel au service d’opérations commerciales. D’autre part, par la réalisation de documentaires et de captations live. Avec, toujours, l’objectif de garantir leur indépendance éditoriale.
C’est ainsi que se montent les Grünt d’or en collaboration avec la salle du FGO Barbara à Barbès, une série de concerts où le média s’ouvre à d’autres styles comme la pop ou la musique électronique. Grünt lance aussi sa webradio et accueille de nouvelles têtes : « On a toujours souhaité se nourrir de l’expérience de plein de gens. Ça nous a permis de diffuser l’ensemble de ce qu’on aime, de l’afrobeats au rap old school en passant par de la house. »
Parmi les émissions, celle de Simon, une « plongée au cœur des révolutions d’hier et d’aujourd’hui, pour mieux préparer celles de demain ». C’est aussi à ce moment que naît le projet « Paname », diffusé par France Télévisions, un documentaire en hommage au « rap du Grand Paris » de la décennie 2010. Pourtant, malgré la multiplication des projets, Grünt repose toujours sur un modèle économique précaire. La vingtaine de personnes gravitant autour du média est rémunérée par le statut d’intermittent : « En dehors de cela, on est libres, mais l’idée est qu’on consacre une partie de notre temps disponible à la partie non rémunérée », explique Simon.
Le rap à l’ancienne ?
Depuis leurs débuts dans le milieu, le rap a changé de statut, se hissant en tête des écoutes dans l’Hexagone. Un essor que Jean Morel explique par sa capacité à se renouveler : « Le rap se fonde sur des samples et se nourrit du passé. Même s’il s’est popularisé, il y a toujours une scène avant-gardiste et des gens qui cherchent à se démarquer. Comme pour le rock, on range beaucoup de choses dans le rap. » Un genre musical éclectique, mais surtout en adéquation avec son époque : « C’est la musique de l’immédiat et la contemporanéité, toujours en phase avec ce qui se passe. Si on prend l’exemple des gilets jaunes, deux semaines après le début du mouvement, des morceaux en parlaient. »
Quant à la prétendue perte d’engagement des nouvelles générations, le journaliste réfute l’idée : « On sort d’années de Covid, d’explosion des réseaux sociaux… L’autocentrisme s’est accentué dans cette génération. Mais elle accepte de parler de ses émotions et de ses faiblesses, de souffrance psychologique, ce qui ne se faisait pas avant. À partir du moment où on a de l’empathie pour soi-même, on redéveloppe de l’empathie pour les autres. » En résulte une prise de conscience sur certains sujets, tels que l’écoanxiété, évoquée par bon nombre de jeunes artistes actuels : « Il y a des révolutions esthétiques, mais l’engagement est toujours là. »
En septembre dernier, Grünt a lancé son festival, regroupant plusieurs générations. La vieille garde indépendante, menée par des artistes comme Sheldon et la new gen portée par Bushi, H JeuneCrack et bien d’autres. Elle-même affublée du statut d’« anciens » dans le milieu, l’équipe de Grünt entend rester à la page : « J’ai halluciné en voyant qu’au festival les gens avaient 20 ans. Si Grünt existe encore dans dix ans, j’espère que ce sera toujours le cas », sourit Simon.
Aujourd’hui accompagnée d’une équipe de jeunes à l’affût des sorties et des scènes émergentes, Grünt ne semble pas près de s’encroûter : « Tout ce qui est nouveau est intéressant. On a la volonté de rester en phase avec l’époque, rythmée par la jeunesse, ceux qui bougent. » Une logique que la récente ouverture de Grünt à la plateforme Twitch ne contredit pas. Preuve que prendre de l’âge ne condamne pas à devenir has been.
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Bonjour. MAM reste a votre écoute
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Musicalement