Toute les vies comptent et celle dont nous parle la chanson de Maxime Leforestier, parue en 1973, a compté… surtout pour son frère qui a tellement marqué nos vies.
JUKEBOX vous emporte, sans boussole, dans les dérives de la vie de Pierre Goldman. Une chanson engagée pour un homme engagé dans des causes dont on a oublié le goût aujourd’hui.
JUKEBOX : Le podcats qui fait bavarder la musique
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La vie d’un homme (youtube.com)Sortir ces histoires des méandres de l’oubli me passionne.
Les chansons racontent l’histoire, parfois compliquées, de leurs auteurs, notre histoire collective, celle de l’humanité.
La grande Histoire et la petite s’y mêlent.
Les chansons donnent la parole à ceux qui ne l’ont pas ou plus.
Elles parlent de lutte, d’amour, de douleur, d’espoir, elle racontent la vie, notre vie,
Une chanson, c’est d’abord une alchimie magique entre un texte et une mélodie, mais c’est aussi une passerelle entre les générations, elles se transmettent parce qu’elles sont attachées au passé et tournées vers l’avenir.
JUKEBOX : Le podcast qui fait bavarder la musique
Imaginé et réalisé par Maria Canel Ferreiro et Sami Randazzo
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- Orateur #0
Jukebox, l’émission qui fait bavarder la musique.
- Orateur #1
Jukebox !
- Orateur #2
À ceux qui savent bien se plaindre, À ceux qui ont peur du bâton, À tous ceux qui n’ont rien à craindre, Je dis que bien. Pierre est en prison.
- Orateur #0
Je dis que Pierre est en prison. Mais qui est donc ce Pierre dont parle ici Maxime Le Forestier dans sa chanson La vie d’un homme ? Pierre, c’est Pierre Goldman, militant d’extrême gauche. Brillant, cultivé, braqueur aussi, journaliste et écrivain encore, en grand écart entre l’Amérique latine et la France, entre la truande et la littérature, Pierre sera abattu sur un trottoir par un commando armé en 1979. Il aura une mort à la hauteur du mythe qu’il s’est forgé. Pierre est aussi le demi-frère du célébrissime Jean-Jacques Goldman. Mais commençons cette histoire par le début. Le père de Pierre Goldman s’appelle Alter Moïse. Il est juif polonais et a immigré en France entre les deux guerres. C’est un communiste convaincu, à une époque où ce mot ne sonne pas comme une injure, mais comme un rempart contre l’extrême droite. Il rejoint la résistance française pendant la guerre. C’est un véritable héros. Il rencontre Janine, juive polonaise, communiste et héroïne elle aussi. Il n’aime pas le fascisme, ce qui me les rend d’emblée éminemment sympathiques, s’activant même contre le franquisme, ce qui redouble ma sympathie à leur égard. Je vous épargne la longue liste des exploits de ces deux-là et les décorations qu’ils leur ont valu. Pierre Goldman naît le 22 juin 1944. Son père ne le reconnaît pas. On raconte que ses parents le mettaient à contribution en dissimulant de la propagande anti-nazie et des armes dans son landau. Après la libération, Alter et Janine se séparent et Janine retourne en Pologne. Alter kidnappe alors Pierre à sa mère pour le confier à une tante. En 1949, Alter reprend la garde de Pierre avec sa nouvelle épouse, Ruth, la mère de Jean-Jacques, avec laquelle il aura trois autres enfants. Mais revenons à Pierre et aux raisons qui font que Maxime Le Forestier lui consacre une chanson en cette année 1975. Pierre voue une admiration sans borne à ce père héroïque. Il a grandi dans la légende de ses pages d’histoire, écrites par des hommes et des femmes d’exception, comme ses parents. Il a aussi grandi dans la haine farouche du fascisme et de l’antisémitisme. Il a été biberonné à la rébellion. Et Pierre est une forte tête. Il est régulièrement exclu des écoles et des lycées qu’il fréquente. Il adhère évidemment aux jeunesses communistes à 15 ans, puis passe son baccalauréat. et s’inscrit en philo à la Sorbonne. Mais Pierre rêve de révolution. En réalité, il se cherche éperdument un combat à la hauteur de celui que ses parents ont mené. Alors, il multiplie les bagarres contre les groupes d’étudiants fachos. Il s’y distingue toujours par son courage, mais aussi par sa violence. Il a la passion des armes, rappelez-vous. Papa Alter et Maman Janine en cachaient dans son landau. Il joue quelquefois du couteau. Il a l’instinct du combat. Parfois, c’est dur de naître en temps de paix. Pierre refuse de faire son service militaire et en juin 1967, il part clandestinement rejoindre un groupe révolutionnaire au Venezuela où son seul fait d’armes sera un braquage de banque réussi à Puerto de la Cruz. Aucune embuscade, pas de guérilla, rien de tout ce dont il rêvait. Il rentre à Paris en 1969, plein d’amertume et à la dérive. Et zut, il a loupé mes 68 en plus.
- Orateur #3
Les policiers continuent de ratisser le bouleversement musicaliste en groupe dans la rue Clunas. Ils ratissent vraiment un coup de main. Attention, attention François, il y a un pavé.
- Orateur #0
Pierre Goldman projette d’enlever Jean-Édouard Nallier, un journaliste et écrivain qui l’exècre. Mais rappelez-vous, son père l’a kidnappé à sa mère. Fasciné par la psychanalyse, il projette encore l’enlèvement du maître Jacques Lacan. En 1970, Pierre est accusé du meurtre de deux femmes lors d’un braquage d’une pharmacie du boulevard Richard-le-Noir à Paris. Des faits pour lesquels il risque la peine de mort. En 1974, bien qu’il clame son innocence et sans aucune preuve matérielle contre lui, Pierre Goldman est condamné à la perpétuité par la Cour d’Assise de Paris. La lecture du verdict provoque un tollé parmi le public présent. A l’époque, il n’est pas possible de faire appel d’une décision d’assise. Goldman doit se tourner vers la cassation. Un comité justice pour Pierre Goldman est créé. La presse se mobilise autour de cette affaire. Une pétition est lancée, soutenue par de nombreux artistes et intellectuels de gauche, comme Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Simone Signoret, Maxime Le Forestier, qui prennent tous fait et cause pour Pierre Goldman. François Mitterrand fait savoir qu’il ne croit pas à la culpabilité de Pierre. Pour l’intelligentsia de gauche, Goldman est une victime de la mauvaise France, celle de Pétain, qui persiste sous le vernis de la démocratie et de la République. Et voilà pourquoi, en 1975, Maxime Le Forestier lui consacre une chanson. C’était le temps où les chansons se mêlaient de politique et les chanteurs avaient des convictions.
- Orateur #2
À ceux qui savent bien se plaindre, à ceux qui ont…
- Orateur #0
Pierre profite de son incarcération pour terminer sa philo et décroche une maîtrise d’espagnol. En prison, il a aussi découvert l’écriture. Il publie un livre, Souvenir obscur d’un juif polonais né en France, et frôle le prix Goncourt. Ce livre est un véritable plaidoyer pour la cassation du procès. La deuxième partie du livre est entièrement consacrée à l’affaire de la pharmacie du boulevard Richard-le-Noir. Pierre Goldman y démonte avec intelligence chacun des témoignages et chaque élément à charge du dossier d’accusation. La défense de Pierre Goldman fait habilement parvenir un exemplaire de ce livre à chacun des magistrats de la Cour de cassation. Et un an plus tard, la Cour de cassation casse le verdict des Assises de Paris. En 1976, à Amiens, l’affaire de Pierre Goldman est rejugée. Et le 4 mai… Il est acquitté des deux meurtres du boulevard Richard Lenoir, mais condamné à 12 ans de prison pour les trois autres braquages qu’il a reconnus avoir commis. Il a déjà purgé la moitié de sa peine. Il est alors libéré et commence pour lui une nouvelle vie où le journalisme et sa passion pour la musique afro-cubaine vont l’occuper. Il va bientôt mourir, comme le personnage de son deuxième livre, l’ordinaire Mésaventure d’Archibald Rapoport, Qui raconte l’histoire d’un homme qui tue pour tuer ? Ce roman est truffé de références à l’affaire du boulevard Richard Lenoir. Une provocation, une trahison pour tous ceux qui l’ont soutenu. Il s’en faut de peu pour qu’il ne se vante d’avoir commis les faits dont il a été acquitté. Le 20 septembre 1979, trois ans après sa sortie de prison, Pierre Goldman se rend à un rendez-vous avec le journaliste Pierre Benichoux lorsqu’un commando armé de trois hommes surgit et là-bas, en pleine rue. Atteint de sept balles, il est tué sur le cou. Il avait 35 ans. Un témoin de l’opération dira avoir entendu l’un des hommes du commando dire aux autres Por aquí, hombre que l’on pourrait traduire par Par ici, mec Une voiture rouge les attend, elle démarre en trombe. Dans la demi-heure qui suit les faits, l’assassinat est revendiqué par une mystérieuse organisation d’extrême droite baptisée Honneur de la Police qui rendrait justice aux deux femmes assassinées Boulevard Richard Lenoir. Cette piste semble plutôt incompatible avec les mots Por aquí hombre rapportés par le témoin. Peut-être une vengeance du GAL, le groupe antiterroriste de libération, anti-ETA militaire, qui aurait tué Pierre Goldman parce que celui-ci aurait fourni des armes à l’ETA. Ou encore, Pierre Goldman aurait-il mis en scène son propre assassinat pour correspondre parfaitement à la mort du personnage de son deuxième livre, Archibald Rapoport. L’assassinat de Pierre Goldman ne sera jamais élucidé. Le tout Paris de gauche assistera à son enterrement au cimetière du Père Lachaise. Sa femme, Christiane, épousée en prison, accouchera de leur fils Manuel six jours après l’assassinat. Manuel que l’on connaît sur la scène rap française sous le nom de Risky ou Mettec. Assassiné en 1979, Pierre Goldman manquera l’extraordinaire ascension artistique de son demi-frère Jean-Jacques, qui lui dédiera la chanson C’est comme on berce de caisses,
- Orateur #1
nos virettes et nos perles,
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chacun de nos chansons en est un. Vous n’écouterez plus ces chansons de la même manière à présent. Pour des raisons de droit d’auteur, je ne peux pas partager l’intégrale des morceaux dans ce podcast. Alors je vous invite à aller les découvrir par vous-même, lisez les textes, les traductions, le cas échéant, de grâce. Soyez curieux. Merci du soutien que vous m’apportez en vous abonnant à ma chaîne. Vous assurez ainsi un juste équilibre entre le donner et le recevoir. Je vous embrasse et à tout bientôt pour une autre histoire en musique sur Jukebox.
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